#6 Timothée Parrique – Comprendre la décroissance

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#6 Timothée Parrique - Comprendre la décroissance
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Qu’est-ce que la décroissance et comment la mettre en place pour construire une économie plus juste d’un point de vue environnemental et social ? C’est la question que nous avons posée à Timothée Parrique, docteur en sciences économiques, expert en économie écologique et spécialiste de la décroissance.

A l’heure du défi climatique, peut-on continuer de croître à l’infini ? Timothée explique pourquoi selon lui, une économie centrée sur la croissance n’est plus soutenable. Il décrit notamment les trois limites d’un modèle de développement infini dans un monde fini :

  • Des limites biophysiques : Elles sont évoquées pour la 1ère fois avec le rapport Meadows publié en 1972. « Il s’agit du premier modèle macroéconomique qui essaye de montrer de manière rigoureuse qu’une croissance infinie mène tôt ou tard à un désordre biophysique…pas seulement le changement climatique, mais aussi la perte de biodiversité ou la perte de la fertilité des sols ». Toute production requiert des matériaux et de l’énergie. Une croissance infinie n’est pas possible car plus on produit, plus on extrait des ressources limitées, plus on pollue.  
  • Des limites sociales : « même si les capacités du monde naturel étaient infinies et que nous avions une croissance complètement décarbonée…on ne pourrait toujours pas croître pour toujours parce qu’il y aurait quand même certaines limites liées au temps qu’il faut pour produire ». Selon Timothée, il est illusoire de penser que le « budget temps » dévolu à la production est infini. Nous aurions besoin de temps pour nous « reposer, profiter de notre famille et de nos amis, discuter avec nos voisins, participer à la vie associative ou politique ». Bref, du temps pour regénérer notre capacité de production.
  • Des limites politiques : maximiser le PIB, indicateur de richesse macroéconomique, « de manière découplée des niveaux de santé, d’éducation et du bien-être », reviendrait à placer en priorité la création de valeur monétaire au détriment de la valeur sociale et écologique. Pour Timothée, se focaliser exclusivement sur le PIB, c’est « continuer à appuyer désespérément sur un bouton en espérant que cela vienne résoudre tous les problèmes du monde ».

La décroissance, de quoi s’agit-il ?

Décroissance ne veut pas dire récession et n’est pas le contraire la croissance. Il s’agit plutôt d’un modèle alternatif à la croissance telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pour Timothée, une définition adéquate de la décroissance serait « la réduction planifiée et démocratique de la production et de la consommation pour diminuer les pressions environnementales et les inégalités, tout en améliorant la qualité de vie ». 

La décroissance, un champ de l’économie écologique

L’économie écologique fait partie des écoles de pensée hétérodoxes, qui considèrent que l’économie est « enchâssée dans la biologie et dans la physique », et donc soumise aux lois de la thermodynamique :

  • Loi n°1 : on ne crée pas d’énergie, on ne peut que la transformer. Cette école de pensée considère que l’on ne peut créer plus de richesse que l’on en consomme.
  • Loi n°2 : dans un système clos, l’énergie qui se transforme en travail ne peut que baisser, et le désordre ne peut qu’augmenter. Appliquée à l’économie, cette loi signifie que l’activité humaine ne peut qu’accroître l’entropie du monde, dégrader l’environnement et mener à la consommation définitive des ressources. Croire par exemple qu’un recyclage complet des matières premières est possible serait une utopie. Comment par exemple récupérer la gomme des pneus de voitures éparpillée partout sur les routes pour en refaire du caoutchouc ?

Découplage, croissance verte et PIB

Selon Timothée, nous ne pouvons découpler l’augmentation du PIB de la hausse des pressions environnementales. “Toutes les formes de découplage que l’on observe aujourd’hui ne peuvent pas être considérées comme de la croissance verte…si on arrive à découpler ne serait-ce qu’un tout petit peu la production des émissions de CO2, cela ne veut pas dire que la croissance est verte, cela veut dire qu’on a réussi à décarboner un tout petit peu ».

A quoi ressemblerait une économie de la décroissance appliquée à notre société ?

Timothée explique que mettre en œuvre une politique de décroissance revient à se focaliser avant tout sur la satisfaction des besoins de la population, sur sa santé et son bien-être, tout en étant attentif aux tensions sociales et écologiques. Il nous invite à « oublier le PIB », « indicateur obsolète pour mesurer la prospérité d’une économie moderne », pour construire à la place des indicateurs qui tiennent compte de notre réalité sociale et environnementale. Par exemple, l’agriculture ne représente en France qu’une part marginale du PIB, alors qu’il s’agit d’une activité primordiale, comme la crise sanitaire nous l’a rappelé il y a quelques mois.

Timothée Parrique est auteur d’une thèse sur la décroissance publiée en 2019 : The Political Economy of Degrowth.  Il est aussi l’auteur de Decoupling debunked – Evidence and arguments against green growth, un rapport sur la croissance verte publiée par le « European Environmental Bureau ». Il est également l’auteur d’un livre sur la décroissance qui sera publié en 2022. Retrouvez ses publications et ses interventions sur son blog : Timothée Parrique (timotheeparrique.com) ou sur son compte Twitter @timparrique


Le Bar à Podcasts est un podcast indépendant créé et animé par Emmanuel Bavière, Sana Dubarry et Nezha Zerwal.  Inspirer des décideurs et accélérer la concrétisation d’idées pour “faire sa part” dans cette formidable, mais néanmoins épique aventure d’adaptation aux changements climatiques, telle est l’ambition de cette série d’entretiens du bar à podcasts. Alors, restez à l’écoute !

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